Une chose est sûre, la rue Courte porte plutôt bien son nom. D’une longueur estimée à une cinquantaine de mètres seulement, ce petit couloir fait office de trait d’union entre deux artères du quartier Saint-Cyprien. Le passage, sombre et vétuste, semble s’être assoupi depuis un bon nombre d’années, figé dans un passé indéfini.
Tout commence pourtant dans le tumulte de la rive gauche, dès la sortie du Pont-Neuf. De ce côté de la Garonne, la ville bouillonne de bistrots et de petits restaurants. C’est dans une ambiance de brouhaha aux accents cosmopolites que les Toulousains se retrouvent pour un apéro qui se termine souvent bien après minuit. Mais dans ce quartier plein de vie, notre petite ruelle échappe radicalement à l’atmosphère tapageuse des alentours.
Bien que silencieuse, la rue Courte n’a pourtant pas la langue dans sa poche
Sur le mur du numéro deux, se mélangent des mots peints à la bombe ou griffonnés au marqueur : des billets maladroits parfois touchants, à demi effacés par le temps et les services de nettoyage.
En face, dans l’angle donnant sur la rue de la République, un immeuble arbore fièrement sa couleur jaune ponctuée de volets bleus. Avec ses allures de vieille princesse déchue, cette bâtisse qui devait autrefois illuminer l’entrée de la rue est aujourd’hui défigurée par le passage des années et la présence de climatiseurs extérieurs. La façade n’offre qu’une porte métallique derrière laquelle aucun espoir d’y trouver quelque beauté cachée ; tout laisse à penser qu’elle ouvre sur l’arrière-boutique d’une laverie automatique.
Les numéros défilent et les immeubles aux styles disparates se succèdent
La plupart sont modestes, ne grimpent pas bien haut. Certains arborent des briques sans charme, d’autres sont vêtus d’un crépi gris rongé par la mousse. Aux étages, la terrasse du numéro six arrive à capter quelques rayons de soleil, alors que le minuscule balcon du numéro huit n’a droit qu’à une semi-pénombre. Une plante verte s’y traine, cherchant visiblement à s’évader entre les barreaux de la rambarde.
Quelques pas de plus dans ce couloir devenu sombre et nous voilà déjà au milieu du parcours. Les trottoirs s’amenuisent nettement, grignotés par les angles biscornus des bâtiments. Les poubelles et les piliers métalliques n’arrangent rien à l’affaire et vont jusqu’à rendre la circulation des piétons définitivement impossible. Les quelques égarés qui empruntent cette ruelle ne s’y arrêtent donc pas, ils la traversent d’un pas pressé, sans un regard, sans attention et à raison.
Le bout de la rue Courte s’annonce toutefois plus lumineux et surtout plus animé
Des voix mêlées de rires se font entendre au croisement de la Grande Rue Saint Nicolas : des mamans et des poussettes forment une file d’attente gouailleuse au pied de la devanture bleue des Restos Bébé, un espace dédié aux familles en difficulté financière. Les parents s’y rassemblent, échangent, retrouvent le sourire, laissant derrière eux la rue Courte restée sombre, déserte et endormie.
Un article de Olivia Rouanet avec la complicité de Stéphane Reynier