Réversible de Julie Mies

Julie Mies - Réversible

Il est des livres qui se lisent comme on déroule un fil : lentement, patiemment, avec la sensation que chaque nœud, chaque boucle, chaque reprise donne forme à un motif plus vaste. Réversible, le premier roman de Julie Mies, appartient à cette catégorie rare d’ouvrages où l’intime rejoint l’universel, où le récit d’une femme en quête de sens se double d’une réflexion subtile sur l’héritage, la mémoire et les détours du destin.

Pénélope, héroïne moderne et tisserande de sa propre histoire

Dès les premières pages, le ton est donné. Pénélope, professeure toulousaine désabusée par trois échecs consécutifs au concours d’agrégation, décide de suspendre sa course à la réussite institutionnelle pour partir sur les traces d’Asunción, sa grand-mère catalane aujourd’hui installée en France. Ce départ pour Barcelone n’a rien d’un simple voyage. C’est une traversée, à la fois géographique et intérieure, où l’héroïne cherche à reconstituer la vie d’Asunción marquée par l’exil.

Mais très vite, l’aventure se double d’une enquête sur soi. Pénélope découvre que les traces laissées par sa grand-mère sont aussi des reflets d’elle-même. Le passé d’Asunción éclaire le présent de Pénélope, et inversement. Le titre, Réversible, prend alors tout son sens : la vie, comme le tissu, peut se retourner, révéler ses coutures, et parfois offrir une nouvelle face.

Réversible : un roman de la filiation et du tissage

Julie Mies bâtit son roman comme une broderie, filant la métaphore du textile tout au long du texte. Chaque chapitre ressemble à une pièce de tissu que l’on assemble, parfois de façon maladroite, parfois avec une précision d’orfèvre. L’auteure excelle à tisser les liens entre passé et présent, entre le Barcelone d’hier, celui des privations, des silences imposés, et le Barcelone d’aujourd’hui, vibrant, cosmopolite, mais où les fantômes de l’Histoire ne cessent de murmurer.

Cette structure, à la fois fluide et complexe, évoque par moments le travail d’un Georges Perec auquel Julie Mies fait délicatement allusion : attention au détail, jeu sur les absences, sens du puzzle existentiel. Réversible possède aussi une part d’onirisme où pointent des échos d’André Breton ou d’Alice au pays des merveilles : Pénélope, à son tour, tombe dans un terrier, celui des souvenirs et des secrets familiaux, sans savoir ce qu’elle y trouvera.

Un récit du hasard et de la renaissance

Sous son apparente douceur, Réversible dit beaucoup sur notre époque : la difficulté d’appartenir, de trouver sa place, la fatigue des institutions, la tentation du départ. Mais aussi, en creux, la possibilité de se réinventer. Ainsi, la vie peut se retourner comme un vêtement. Les échecs deviennent des opportunités, les détours des chemins essentiels. Julie Mies célèbre l’art de recommencer, d’accepter le hasard comme un allié, de trouver dans la perte une forme de réinvention.

En cela, son roman est d’une grande justesse émotionnelle, porté par une écriture limpide, ciselée, parfois poétique, toujours sincère. La langue, sans ostentation, épouse les états d’âme de son héroïne, entre lucidité et vertige. On referme le livre avec la sensation d’avoir voyagé dans une ville, certes, mais surtout dans une mémoire vivante.

Le premier roman de Julie Mies est d’une maturité étonnante

Avec Réversible, Julie Mies signe une œuvre à la fois intime et ample, enracinée dans le réel mais ouverte à la rêverie. Son talent réside dans cette capacité rare à faire du personnel une matière universelle, à relier les générations sans les opposer. C’est un roman sur ce que l’on transmet, ce que l’on tait et sur la nécessité de retourner parfois le tissu de sa vie pour en comprendre la trame.

Texte et photo de Stéphane Reynier

Pour en savoir plus :
Editions Sans Crispation

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