João Selva chante le Brésil à Rio Loco

joao selva

Avec João Selva, les tropiques ne sont jamais tristes. Il les sublime avec ses mots et des mélodies enivrantes qui associent aux musiques brésiliennes traditionnelles des sonorités toutes droits sorties du jazz, du funk voire du groove. Doté d’un sourire qu’il ne perd jamais, il a chanté le Brésil à Rio Loco en communiant avec son public dans la plus grande authenticité. Toulouse Magazine est allé à sa rencontre quelques minutes avant de monter sur scène.

João Selva est une sorte d’Ulysse des temps modernes. De sa mère pied-noir émigrée au Brésil, il tient cette appétence pour la France et sa double nationalité. Ses études l’y ont d’ailleurs ramené après avoir vécu enfant dans le quartier d’Ipanema à Rio de Janeiro. Il garde d’ailleurs le souvenir ému de l’édition 2005 de Rio Loco dédiée au Brésil. Il confie que le lieu et l’ambiance n’ont pas vraiment changé depuis et qu’il y a en réalité un lien étroit entre l’Occitanie, le Brésil et toutes les cultures populaires, traditionnelles. « Au départ je ne voyais pas par exemple le lien entre les repiniques (instrument de percussion utilisé dans la samba brésilienne – ndlr) et les troubadours occitans. Mais en réalité y a un rhizome qui montre qu’on est interconnectés, on se transmet des choses tout en étant autonomes ».

Depuis 2005, de l’eau a coulé sous les ponts puisqu’après avoir étudié, il a bourlingué une dizaine d’années à l’étranger au gré de ses contrats d’artiste pour finir par poser ses valises à Lyon, au confluent du Rhône et la Saône mais aussi de cultures différentes : « je me suis beaucoup retrouvé avec la communauté immigrée puisqu’il y a des gens du monde entier : Maroc, Mexique, etc. La France est une terre d’accueil au sens large et je m’identifie beaucoup à tous ces immigrés qui viennent d’ailleurs mais dont les histoires se ressemblent finalement beaucoup ».

Le sens de la musique par João Selva

Le fils d’Ipanema perpétue un héritage de la culture brésilienne avec ses grands « maîtres » (porteurs de culture) reconnus par la communauté comme étant des piliers et des vecteurs des savoirs et des traditions. « J’essaie de tirer le fil de celles-ci puisque j’ai eu l’occasion de voyager en Afrique, dans les Caraïbes et je me suis rendu compte qu’il y avait plus de choses qui nous rapprochaient, nous rassemblaient que de choses qui nous différenciaient que ce soit à travers la tradition orale que dans la danse par exemple ». Pour lui, le rôle d’un artiste est de fédérer des peuples autour de valeurs aussi simples que le partage, la solidarité ou le vivre ensemble. « En toile de fond, il y a toujours cela. La musique c’est l’intention que l’on met et d’être sincère, d’où les live mais aussi le fait d’écrire et d’enregistrer directement en studio pour préserver cette spontanéité ».

Son sourire le quitte peu et ce qui le touche particulièrement est la synergie que l’on peut créer à travers la musique, la communion, héritage de son père pasteur probablement mais aussi de son enfance, lui qui a grandi dans un milieu alternatif et à contre-culture. « Cette force de la musique là où les mots ne suffisent plus à dire des choses est très présent en moi depuis toujours. J’essaie de cultiver cela comme un petit jardinier en créant aussi de nouvelles pousses ». Il raconte ainsi deux anecdotes avec une émotion au bord des lèvres : « Je suis par exemple allé chanter en prison il y a peu. À l’issue du concert, un détenu m’a dit : « Tu m’as offert la liberté le temps d’1h30 ». Ce genre de choses me portent et me rendent heureux. Au Brésil j’ai accompagné un vieux monsieur qui jouait du violon traditionnel et dont j’ai produit l’album. Depuis, il nous a quittés. Il avait cependant vécu une situation analogue à l’esclavage et a développé une musicalité incroyable qui allait bien au-delà de la perfection technique. Cela me retourne, m’émeut ».

L’inspiration de João Selva pour le dernier album Passarihno

Son dernier album désigne en français un oiseau. Titre de l’album en même temps qu’une chanson, le « Passarihno » a sa jolie petite histoire qui est née pendant le premier confinement. « On entendait et écoutait beaucoup plus les oiseaux à ce moment-là. C’était aussi ma fenêtre sur le monde, une source d’inspiration », lui qui était alors privé de la liberté de se déplacer. Pour ce titre, il a fait une analogie entre les victimes du Covid et la planète : « J’avais aussi cette image de gens qui n’arrivaient plus à respirer parce que la planète n’y parvenait plus non plus. Je me suis inspiré d’un penseur amérindien qui disait que pour son peuple, la fin du monde a commencé il y a 500 ans et pourtant il est toujours là. Cela montre qu’il faut garder espoir et continuer à stimuler notre créativité, notre imaginaire pour inventer d’autres futurs possibles ». Son Passarihno évoque cela et l’une des fonctions de l’art qui est de créer une autre réalité. « J’aime cette image de Bertolt Brecht qui dit que l’art est à la fois un thermomètre et un thermostat. Il prend la température, il est un haut-parleur de notre temps et de notre époque. Mais en même temps, on l’influe aussi, on peut le changer. Il y a cette dialectique ».

João Selva s’inspire donc du réel et de ce qu’il vit pour le mettre en mots et en musique. II lui suffit parfois de peu pour créer une nouvelle chanson. Traverser un marché par exemple. « J’étais à Tallinn et il y en avait un sur le chemin du studio. Dans le même temps, il y avait au Brésil le marché de la réforme agraire, Mouvement des Sans-Terre. Et finalement écrire ce texte a été une manière d’aborder un thème très lourd qu’est celui de la propriété terrienne avec les glissements de cultures qui détruisent la planète et à côté de cela une agriculture familiale, de subsistance qui nous nourrit ».

Sa musique, à l’image du Brésil aujourd’hui tente de trouver un accord harmonieux entre le poids et la richesse des traditions, le présent et l’avenir pour « retrouver une dignité que l’on avait perdue » et pour rassembler les peuples. Dans la joie.

Un article de Angélina Landes

Pour en savoir plus :
Rio Loco – site web

À découvrir aussi :
Les concerts à Toulouse : reportages

PARTAGEZ