Whisky Japonais de Anne-Sophie Bigot

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On pourrait croire que le whisky se raconte avec des dates, des chiffres et des degrés d’alcool. Anne-Sophie Bigot préfère dévoiler les histoires, les gestes et les lieux qui s’animent. Whisky Japonais publié chez Larousse, ne se contente pas de décrire un univers, il l’effleure, l’écoute et le rend vivant. C’est un livre que l’on déguste comme une saveur nouvelle, un ouvrage où les arômes se font paysages et où les distilleries parlent comme des maisons habitées par des légendes ancestrales.

Whisky Japonais, un abécédaire du célèbre breuvage

Au début du livre, on découvre que la fabrication du whisky n’est pas seulement une affaire de maîtrise technique, mais une succession de gestes patiemment répétés, comme ceux d’un calligraphe traçant les mêmes motifs jusqu’à ce qu’ils deviennent signes intérieurs. Les typologies, les secrets du bois, les différences d’alambics, tout cela dépasse la simple classification. Ce sont les éléments d’un alphabet au travers duquel on commence à entrevoir le langage profond du whisky japonais.

Au fil des pages, Anne-Sophie Bigot se met à tisser. Elle trace des liens entre le whisky et les autres boissons du Japon, saké, shōchū, bière, comme autant de racines d’un arbre immense. L’umami traverse l’ouvrage de sa présence discrète mais constante. La consommation nippone, elle aussi, se lit comme une poésie du quotidien. Highball, mizuwari, ice ball whisky : trois gestes, trois façons de dire au monde que l’on prend le temps, que l’on célèbre l’instant. Ce Japon-là n’est pas exotique, il est intime.

Anne-Sophie Bigot nous entraine dans un itinéraire de spiritourisme au cœur du Japon

Dans Whisky Japonais, le lecteur avance comme dans un roman, à travers des personnages qui portent en eux une vision du monde. En premier lieu, Masataka Taketsuru, voyageur obstiné qui a tout d’un héros silencieux. Il va en Écosse comme d’autres partent en quête de vérité et il y revient comme on rentre d’un pèlerinage, chargé d’un savoir qui transformera son pays. Présent également, Shinjirō Torii qui ressemble à ces entrepreneurs que les romans japonais aiment tant, à la fois ambitieux et mélancolique, obsédé par l’idée de créer un whisky capable de deviser avec le monde. Entre eux deux, c’est presque un dialogue. Et l’auteure, dans son écriture, laisse entendre l’écho de cette conversation au travers des projets et du temps qui passe.

Lorsque Anne-Sophie Bigot évoque les distilleries japonaises, son style se fait presque cinématographique. On voit la brume se lever sur Yoichi, on entend les gouttes d’eau tomber sur les pierres sombres de Miyagikyo, on devine la chaleur des forêts entourant Chichibu. Les distilleries ne sont pas seulement des sites de production ; ce sont des maisons vivantes. Chaque établissement devient un personnage avec sa respiration, sa météo intérieure, ses failles, ses obsessions, son histoire mais aussi ses légendes. Et pour s’en convaincre l’auteure nous invite dans un itinéraire de spiritourisme au pays du Soleil Levant.

Trente paysages à découvrir au travers d’une sélection de whisky japonais

La dernière partie du livre tient presque du recueil de nouvelles. Chaque whisky présenté par l’auteur s’ouvre comme un paysage miniature : un profil aromatique devient une saison, une idée de prix apparait comme un point cardinal, une anecdote se transforme en passerelle vers un souvenir. On lit ces portraits comme on savourerait des fragments de Bashō transposés dans le monde du malt. Tel whisky évoque un sentier de montagne au mois de mai. Tel autre ressemble à un morceau de bois qui a dormi dans l’océan. Un troisième rappelle la rencontre improbable entre un parfum d’encens et la douceur d’un fruit d’été. L’auteure invite le lecteur à écouter, à observer et à traduire les saveurs en fonction des sensations. Plus loin, les accords mets-whisky proposent un glissement vers l’imaginaire. Ils invitent à expérimenter, à rêver, à ouvrir un espace où le verre devient territoire.

Sur Whisky Japonais de Anne-Sophie Bigot, un dernier mot en guise de dernier verre

La lecture de Whisky Japonais donne l’impression d’avoir voyagé en compagnie de l’auteure. Anne-Sophie Bigot semble porter en elle une double appartenance, celle d’une Française qui a découvert le whisky comme on découvre un langage, et celle d’une Toulousaine qui partage ses trouvailles. D’ailleurs, en filigrane des deux-cent pages de l’ouvrage, transparait l’ombre douce du The Hopscotch, un pub écossais devenu lieu de transmission à Toulouse, où l’on y entend les conversations du soir, les verres posés sur les tables, la curiosité des habitués. On comprend alors que l’auteure n’écrit pas seulement sur le whisky. Elle écrit sur la manière dont les passions se donnent, se racontent, se transmettent. Whisky Japonais est un texte sur ce qui relie les êtres aux lieux, les lieux aux gestes, les gestes aux saveurs. On referme l’ouvrage comme on achève un verre lentement savouré : avec cette sensation douce que quelque chose, on ne sait quoi, a voyagé en nous.

Texte et photo de Stéphane Reynier

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