Lorsque les mots rebondissent, se cambrent et dansent sous les modulations de la voix, c’est une identité qui apparaît, une authenticité qui se révèle. À Toulouse, on dit que la langue se teinte d’un accent qui chante la Garonne dans un souffle de vent d’autan. Mais ces considérations poétiques sont loin de refléter tous les usages de la langue toulousaine. Les jours de match, dans les tribunes du Stade Ernest Wallon, il n’est pas rare d’entendre les supporters rouges et noirs offrir à l’équipe adverse des expressions bien moins lyriques. Alors, qu’en est-il de cet accent toulousain et que raconte-t-il ? Pour en savoir plus, notre journaliste Angélina Landes est allée à sa rencontre.
À Toulouse, l’accent s’immisce dans les conversations en échappant à toutes les conventions. Familiarités, néologismes, contractions, ses formes sont riches de nuances et de créations linguistiques. Qu’importe qu’il s’agisse d’une discussion au coin de la rue ou d’une réunion au sommet, il est de tous les échanges : il se faufile dans les bars, les terrasses ensoleillées, les bords de Garonne et s’accompagne parfois d’une gestuelle particulière ou d’un regard entendu. L’accent toulousain s’exprime d’une multitude de façons. D’ailleurs certains n’hésitent pas à le surjouer avec espièglerie notamment entre amis. Il donnerait ainsi plus de force à des situations de connivence, tel le « oh, tu sais pas quoi » d’un début d’histoire à peine croyable.
À la recherche de l’accent dans les rues toulousaines
Cette petite empreinte occitane, on peut la trouver au marché Saint-Aubin parmi les cabas à roulettes des mamies qui se donnent rendez-vous tous les dimanches. La mélodie de la langue colore subtilement l’atmosphère du lieu. Les étals des commerçants s’animent à mesure que les conversations se tissent : d’abord au sujet du temps qu’il fera, puis avec les nouvelles de la famille pour finir par les petits potins dont raffolent nos grands-mères. Ici, l’accent s’utilise pour parler de la vie, de tout, de rien, jusqu’à ce qu’arrive l’heure de se quitter. La discussion reprendra ainsi, le dimanche suivant.
Mais l’accent toulousain n’est pas réservé à la seule place du marché, ni même à l’usage exclusif des « mémés qui aiment la castagne ». Les cours d’école n’y échappent pas non plus. Il suffit de tendre l’oreille à la récré et s’intéresser aux petites chamailleries pour le voir apparaitre : « sois pas ratche, donneuh-le moi ce boulard ». Parfois, il surgit à l’occasion d’un match de foot lorsqu’un pénalty échauffe les esprits. C’est alors que les mains se joignent aux jolies expressions pour montrer un désaccord : « Mais boudu, réfléchis avant de bougner dans la surfaceuh communeuh bêêête ! ».
Qu’on le veuille ou non, cet accent toulousain rythme le quotidien de chacun. Reconnaissable entre mille et perceptible par tous, il apparait sans qu’on ait besoin de le chercher.
Faut-il le cultiver ou bien le faire taire ?
Certains souhaiteraient pouvoir effacer la marque géographique de leur langue, souvent dans un souci d’intégration. Pour entrer dans un groupe ou se fondre dans la masse, une idée reçue est souvent avancée : il faut faire comme tout le monde. Et faire comme tout le monde, c’est d’abord parler comme tout le monde. Il faudrait donc aseptiser son langage. Face aux efforts déployés par certains pour parler sans aspérité, les Toulousains sourient, d’autres s’en attristent. Reste que le sujet subsiste…
La gêne induite par l’accent peut d’ailleurs se manifester très tôt. Ce fut le cas d’une petite fille qui, confrontée aux vers de Victor Hugo, s’exerçait à la récitation : « Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagneuh … la commeupagne… ». Côté prononciation, ce n’était jamais ça. Elle avait beau tenter de s’affranchir de son accent, elle n’y parvenait pas. Lorsqu’elle parlait, c’étaient les voix de son père et de son grand-père qu’elle entendait, avec des [r] qui roulent comme des cailloux. Parfois, elle-même ne comprenait pas les mots paternels tant ils étaient enrobés et étirés tout en longueur. C’était probablement aussi le patois occitan qui se glissait par-là, des expressions qu’elle ne connaissait pas mais dont elle pressentait instinctivement la signification. Finalement, la petite finit par accepter son phrasé chantant, préférant chercher des répliques bien senties face aux moqueries des enfants sans accent.
Mais la petite histoire ne s’arrête pas là. Désormais adulte, la Toulousaine constate que son intonation méridionale opère un certain charme sur les gens qu’elle rencontre, même s’il y aura toujours une poignée de dédaigneux pour lui rétorquer qu’une telle prononciation ne fait pas sérieux tant elle sonne « régionale ». Qu’importe, elle y tient à son accent ; il est pour elle comme un petit supplément d’âme.
En somme, l’accent toulousain, cette petite note qui résonne dans les échanges au coin de la rue, dans les tribunes du stade de rugby ou entre amis au bord de la Garonne, s’exprime et se partage avec qui veut bien l’entendre, parce ce qu’il reste ce qu’il est, à savoir un hymne à la vie.
Un article de Angélina Landes avec la complicité de Stephane Reynier